Recherche de Benoît Blary pour 20 ans de guerre |
"Tout l'album est sous tendu par des événements historiques réels. La première séquence, c'est une bataille méconnue, dans les Ardennes françaises en mai 1940. La Horgne. Les allemands percent à Sedan et le lendemain, une brigade de spahis marocains et algériens a pour mission de les arrêter une journée. Ces cavaliers avaient déjà combattu intensément en Belgique et se repliaient. Aragon en personne en a tiré quelques pages superbes dans "Les Communistes". Mon père à la fin de sa vie était plongé dans le récit de cette bataille qui a suscité beaucoup de légendes et de contrevérités. Il avait lui-même commandé des spahis marocains en indochine et il était sensible à ces événements. Il est d'ailleurs né à quelques kilomètres à peine des lieux de cette bataille. Du coup j'ai fait la connaissance du colonel Moné, qui vient de publier un ouvrage définitif là dessus, et qui, m'a-t-il dit, avait rencontré mon père a plusieurs reprises. Enfin, je me suis rendu à Valence, dans le dernier régiment de spahis en France.
Ensuite on passe dans le Jura. Vers Arbois, contre la ligne de démarcation. Ma belle famille y possède une vieille ferme dans un un tout petit village. Dans ce village : un survivant de La Horgne ! Si ! Et aussi des passeurs. L'anecdote de l'arbre abattu au-dessus de la rivière, par exemple, est authentique. Roger est directement inspiré par l'un des voisins.
Troisième séquence : l'été 1945, un moment de flottement, nos personnages sont ancrés dans leur quotidien, dans leur époque. Les camps de prisonniers allemands sont ignorés aujourd'hui, ce qui est parfaitement logique.
Quatrième séquence : l'indochine. On peut discuter sur les dates, n'empêche que les opérations militaires ont démarrées dès 1945 (et je ne parle pas de l'occupation japonaise). Certains combattants y ont passé 10 ans. On en a une image tronquée, et encore quand on en a une. Le plus souvent : des gueux paumés dans les bois. J'ai découvert qu'il y a eu plusieurs grandes batailles, pas seulement la dernière, Dien Bien Phu, mais que ce long, très long conflit a donné lieu a plusieurs vastes opérations autour de grandes bases aéroterrestres. Bien avant les américains. Et tout ça avec du matériel de la 2e guerre mondiale récupéré un peu partout. Une période passionnante, à redécouvrir, très complexe et riche d'aventures insensées. Pendant ce temps là, en France, on reconstruit et on se remet à vivre. C'est l'amorce des trente glorieuses. Ce n'est pas très surprenant qu'on en parle pas.
Ensuite, une séquence particulière, brève, saccadée et sans unité de temps. Une séquence de liaison, je voulais évoquer certains aspects encore plus méconnus de cette guerre d'indochine. Le genre de choses qu'on glisse sous le tapis quand on fait le ménage.
Sixième séquence : une bataille en Algérie. Ce n'est pas une reconstitution fidèle de la Bataille des Frontières, un épisode très sanglant que j'ai réinterprété. Si on fait attention aux dates, on est pile au moment de la chute de la IVe république, de Gaulle va revenir au pouvoir quelques jours après. Des connaisseurs m'ont déjà reproché (très gentiment) que si on a pas vécu cette période on a du mal à comprendre. Mais moi j'étais pas né, et il suffit que quelques lecteurs fassent le lien et j'aurais tapé juste sans en faire des tonnes. On dit tout le temps "l'Algérie c'est tabou", la torture, etc. Pas du tout : cette guerre on en parle tout le temps, sous le même angle, tout en occultant beaucoup d'aspects essentiels.
Septième séquence : la fin. Entre les accords d'Evian et l'indépendance. J'essaye simplement de montrer la complexité de l'affaire et du moment, vue depuis des personnages ordinaires qui ne sont ni des politiciens, ni des géopoliticiens, ni des diplomates, ni des historiens ni rien de rien.
Au final : une galerie de personnages pris dans des engrenages. Mais qui vivent. Qui vivent comme ils peuvent dans leur époque, qu'ils n'ont bien sûr pas choisie. Ah oui, il s'agit d'un français, d'un allemand et d'un algérien, ainsi que d'une française."
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